• Mat Resume
  • Posts
  • Comment les réseaux sociaux ont transformé en poisson rouge des millions de gens

Comment les réseaux sociaux ont transformé en poisson rouge des millions de gens

Une analyse approfondie des dégâts et des bienfaits sur la santé mentale de la consommation régulière des réseaux sociaux.

L'espèce la plus intelligente sur terre s’incline aujourd'hui face au poisson rouge.

Le poisson rouge n’est pas devenu malin, mais nous devenons cons.  

A en croire les journaux, notre capacité d’attention serait tombée à 8 secondes. Celle du poisson rouge serait de 9 secondes.

Titre d’un article du journal Ouest France

Donc si t’es toujours concentré(e) à ce stade de ma lettre, es-tu un surhomme ? Peut-être pas, je t’explique.

Tous ces articles sur le poisson rouge datent de 2015 et se fondent sur un faux rapport. Notre capacité de concentration moyenne est bien plus élevée, et celle du poisson rouge probablement aussi.

Mais depuis 2015, les réseaux sociaux ont conquis le monde.

Parmi eux, Instagram a gagné 2 milliards d’utilisateurs actifs.  En gros un quart de l’humanité, dont un français sur deux et 84% des français entre 16 et 25 ans. Une jeune génération passant en moyenne deux heures par jour sur les réseaux. 

Donc avec cette adoption massive d'Instagram, une nouvelle habitude s’est immiscée dans nos vies de primates : le binge scrolling.  

Le "binge scrolling" désigne l'habitude de faire défiler indéfiniment du contenu sur son téléphone.

Mais est-ce que cette habitude n’est pas en train de nous transformer en poisson rouge ?  

Chapitre 1 : D’homo sapiens à homo addictus stupidus

En 1954, un psychologue de Harvard a rendu des rats zinzin. 

Il les a mis dans une cage avec des électrodes sur le cerveau et un levier devant eux. Lorsque les rats appuient sur le levier, une décharge leur est envoyée au cerveau.  

Découverte du circuit de la récompense : Olds & Milner, 1954

La décharge stimule un réseau de neurones qu’on appelle le circuit de la récompense. Ça libère l’hormone du bonheur. La dopamine.                                             

La dopamine se libère en récompense de certaines actions pour te donner envie de les reproduire en te procurant une sensation de bien être. Par exemple, quand tu manges un bon repas, quand t’as un orgasme, ou quand tu écoutes Chantal Goya.

“Pandi Panda, petit ourson de chine

Pandi Panda, tu n’seras pas une victime”

Bam ! Shot de dopamine.

Extrait de la chanson Pandi Panda de Chantal Goya, potentiel ancêtre de Beyoncé

Bref, la libération de dopamine c’est ce qui va te donner envie de répéter l’action encore et encore. Ce système contribuait à notre survie, à une époque où pour manger, il fallait chasser un ours avec des cailloux en silex et des lances en bois. Mais à notre époque où tu peux te faire livrer un tartare en 10 minutes en bougeant seulement ton pousse, cela crée surtout des addictions sévères.  

Donc un des rats a appuyé sur le levier 7500 fois en une demi-journée. Certaines décharges les propulsaient violemment contre la cage mais ils revenaient presser compulsivement le levier. Quand leur corps les obligeaient à dormir, les rats s’assoupissaient quelques minutes, puis retournaient appuyer sur le levier. 

Les rats étaient addict au point de ne plus manger. Mais dans des conditions plus douces, avec des décharges moins fortes de dopamine, ils mangeaient juste de quoi survivre avant de repartir presser le levier. 

L’addiction peut aller loin puisqu’en 2016, des scientifiques ont reproduit la même expérience sur des souris, en infligeant en plus des chocs électriques douloureux dans leurs pattes à chaque fois qu’elles pressaient le levier pour recevoir leur dopamine. Mais 60% d’entre elles ont continué à appuyer autant sur le levier qu’avant.   

Lorsque tu scrolles sur les réseaux, les mêmes mécanismes s’activent. Tu fais le pari inconsciemment, en mettant en jeu ton attention et ton temps, que la prochaine vidéo t’apportera ce que ton corps cherche. Donc dès que tu tombes sur une vidéo satisfaisante : shot de dopamine. Puis tu recommences à scroller, encore et encore.  

Donc t’es constamment dans le suspense d’une vidéo satisfaisante, et ça suffit pour activer ton circuit de la récompense. Comme les mamies qu’on voit derrière la machine à sous du Casino pendant des heures. Elles attendent obsessionnellement de toucher le gros lot, jusqu’à se ruiner. Le même mécanisme te fait rester des heures à scroller. 

Mais ici, le casino, c’est Instagram. Son algorithme optimisé pour te servir non pas ce que tu veux mais ce qui saisira ton temps et ton attention le plus longtemps possible. Le but est de nourrir son modèle économique en accumulant des données sur toi en fonction des vidéos avec lesquelles t’interagis, pour te proposer des publicités ultraciblés.  

L’attention et les données personnelles sont le pétrole du 21e siècle. Sauf qu’ici ça nique pas la planète, mais ton cerveau.

La TikTokisation d’Instagram, c’est à dire la refonte de l’application Instagram pour ressembler plus à TikTok, a amplifié l’addiction au binge scrolling.  

Donc on se retrouve avec quasiment un français sur deux entre 16 et 25 ans passant plus de 3 heures par jour à Binge scroller sur les réseaux, donc plus de 20 heures par semaine. Ce qui revient à lire 2 fois l’alchimiste de Paulo Coelho, à regarder au moins 7 fois Le Parrain, ou 60 épisodes de plus belle la vie. 

Extrait du générique de la série Plus Belle La vie (Pour votre santé, limitez votre consommation de cette série à 0 épisode par semaine).  

Mais nous avions été prévenu :  

“Le processus de réflexion qui a présidé la création de ces applications, Facebook étant la première d'entre elles, était axé sur la question suivante : Comment pouvons-nous consommer le plus possible votre temps et votre attention consciente ?“

Sean Parker, Ex Président de Facebook

“Ma solution est de ne plus utiliser ces outils. Je ne les utilise plus depuis des années. [Mes enfants] n'ont pas le droit d'utiliser cette merde.”

Chamath Palihapitiya, Ex Head of Growth de Facebook

Une fois que t’es addict au binge scrolling, tout devient chiant. Flemme d’étudier, flemme de lire, flemme de regarder un film. Parce que toutes ces activités génèrent moins rapidement de la dopamine.

Pas de satisfaction immédiate, pas de plaisir.

Alors on procrastine, gouverné par notre besoin animal de recevoir cette hormone du plaisir et non plus par nos réels désirs. Même quand on ne veut pas passer son temps à scroller, on finit par le faire.

Mais c’est là qu’on se transforme en poisson rouge. Sur Instagram, tu as des pics de dopamine non seulement quand tu binges scroll et que tu tombes sur une bonne vidéo, mais aussi quand tu reçois un like, un message, un commentaire.

Ce qui chroniquement peut transformer ta structure cérébrale et abîmer les cellules cérébrales. Et l'atterrissage risque d’être vraiment problématique pour les cerveaux encore en développement comme ceux des moins de 25 ans.  

Moins bonne performance cognitive, moins bonne mémoire, réduction de l’attention. A chaque fois que tu binges scroll, tu réduis aussi ta barre d’énergie mentale de la journée.  

Comme une grande partie de la population fonctionne comme ça, on finit par banaliser un comportement qui n’a rien d'ordinaire, et on se rassure en se disant que le voisin fait pareil ou pire.    

Mais… et si ça en valait la peine ? 

Chapitre 2 : Un bocal qui rend heureux

La pyramide des besoins de Maslow

On possède tous un besoin d’appartenance. Instagram le remplit partiellement.

Tu peux interagir socialement via les messages privés, les commentaires, les stories et prendre des nouvelles de tes potes avec les photos.  

Comme notre estime de nous-même est en parti définie par notre perception de ce que les autres pensent de nous, le sentiment d’appartenance créé par l’acceptation sociale sur Instagram augmente notre estime de nous-même. 

Donc comme la connexion sociale permet de réduire la dépression, l’anxiété, et le sentiment de solitude, Instagram contribuerait à notre bien-être. 

Au-delà de l’aspect social, tu peux aussi trouver des infos utiles, te distraire, et découvrir des personnalités incroyables. Il y a des créateurs drôles, des artistes brillants, et des journalistes passionnants.  

Mais est-ce que ça rend tout le monde heureux ? 

Les personnes anxieuses de leur apparence sont les plus susceptibles de poster des photos d’elles sur Instagram. Leur but, souvent inconscient, est de recevoir un retour positif et gagner en confiance.

Mais si tu t’auto-présentes de manière mensongère dans le but d’être approuvé socialement, tu augmentes ton risque de dépression et ton anxiété. 

Parce que lorsque tu crées ton toi idéal, un personnage avec ton apparence sur les réseaux qui dispose de tes meilleurs traits uniquement, puis tu te compares socialement à d’autres profils idéalisés bien mieux que toi, ça peut mener à une baisse de ton estime personnelle. 

Profil Instagram de Kim Kardashian

Mais le gros problème est que les gens atteints d’un mal être ont un risque plus élevé de développer une maladie mentale. Plus d’un français sur 6 souffre de dépression ou d’anxiété. La majorité a moins de 25 ans, c’est l’âge le plus exposé au risque de dépression.

Mais si 84% des français de 16 à 25 ans utilisent activement Instagram et passent en moyenne deux heures par jour sur les réseaux, est-ce une bonne chose ?

La dépression est la maladie qui touche le plus de personnes dans le monde et qui les empêche le plus de vivre normalement. Il y a un lien étroit entre la dépression et la santé physique, comme les maladies cardiovasculaires, le cancer, et les affections respiratoires. 

Evidemment un ensemble de facteurs majeurs pèsent à l’échelle mondiale sur la santé mentale : les inégalités sociales et économiques, les urgences de santé publique, et la crise climatique. 

Mais ne pourrait-on pas déjà à notre échelle aménager notre environnement pour ne pas devenir un poisson rouge dépressif ?  

Chapitre 3 : L’évasion du bocal

Dans les années 60, des scientifiques ont mis des rats dans une cage avec un flacon d’eau et un flacon de morphine. Les rats sont devenus addicts à la morphine et l’ont consommé jusqu’à en mourir.

Un rat dans une cage avec de l’eau et de la morphine

Mais un psychologue Canadien, Bruce Alexander, a décidé de refaire l’expérience en mettant les rats dans des conditions de vie plus réalistes et agréables qu’isolés en cage.

Le parc pour rats, expérience menée par le scientifique canadien Bruce Alexander

Un flacon de morphine et un flacon d’eau ont été déposés dans un grand espace, avec de la nourriture, des rats mâles et femelles et des jeux.

Finalement, les rats consommaient plus d’eau que de morphine et ne sont pas tombés dans une addiction mortelle. 

Donc les facteurs environnementaux et sociaux jouent un rôle important dans le développement de l'addiction au binge scrolling. L’isolement et l’absence de projets y contribuent fortement.

Si tu ne veux pas devenir un poisson rouge ou ne plus en être un, voici 3 techniques, que tu ne vas pas forcément aimer. 

  1. Déjà sur Instagram, il faut suivre au maximum ses proches et pas d’inconnus parce que des études (voir sources à la fin) montrent que ceux qui suivent des inconnus ont plus de symptômes dépressifs en partie dus à la comparaison sociale qui est plus forte. 

  1. Tu peux aussi te fixer un standard de qualité pour ce à quoi tu t’exposes et influencer ce que t’expose l’algorithme d'Instagram en likant, partageant et enregistrant que du contenu dans ton standard.

  2. Tu peux aussi apprendre à résister aux stimuli bas de gamme. Ils viennent de partout : Instagram, le sucre, les jeux vidéos. Je pense que les sculpteurs du monde de demain seront ceux qui résistent à ces stimuli bas de gamme. Ils deviennent omniprésents, et aussi intelligent qu’on soit, ils peuvent nous empêcher d’exploiter notre potentiel.  

    • Donc, pour entraîner son cerveau à y résister, on peut régulièrement faire des journées sans en consommer. Pas d’écran, rien. 

    • Il faut savoir aussi reporter la récompense. Tu peux d’abord te consacrer à des tâches moins génératrices de dopamine comme lire ou étudier, avant de passer du temps à scroller. 

    • Comme un chien associe le son de la cloche à la nourriture, un homme peut associer le métro ou sa chambre au binge scrolling. Des associations inconscientes se forment entre l’environnement et le comportement addictif adopté. Briser ces associations en modifiant des détails peut aider. Par exemple, retirer tous les écrans de sa chambre.

    • Tu peux aussi ne consommer Instagram que sur ton ordinateur et pas sur le téléphone. Cela t’évitera de passer deux heures à scroller sans t’en rendre compte.  En dernier recours, tu peux supprimer l’application.  

    • Parfois, il est difficile de travailler sans se laisser déconcentrer par son téléphone. En ultime recours, la boîte de verrouillage de téléphone avec minuterie peut aider. Tu mets ton téléphone dans la boîte, tu fixes un temps minimum de fermeture, et la boîte se verrouille pour te permettre de te concentrer sans perdre de temps avec ton téléphone.

Pour résumer, Instagram peut être une mine d’or de contenu drôle, artistique et éducatif. Mais certaines personnes se noient dans ce bocal de contenu et binge scrollent indéfiniment. Sur le long terme, le cerveau et le moral peuvent se dégrader. 

Une fois que l’addiction au binge scrolling est là, elle est vite banalisée parce qu’elle s’est installée doucement dans notre quotidien. On s’aveugle sur notre état mental en se disant que c’est notre état normal, et c’est seulement après s’en être détoxifié qu’on retrouve la vue. 

Mais il y a un équilibre possible pour exploiter les bienfaits d'Instagram sans dégrader sa santé mentale et ses neurones. 

Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, la santé mentale est un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d'être en mesure d'apporter une contribution à la communauté ».  

Mais est-ce ton état actuel ? 

A bientôt,

Mat

Cette lettre est à but distrayant et informatif uniquement, en cas de problème de santé, veuillez consulter un médecin.

Si tu as aimé ce contenu, voici ma nouvelle vidéo que tu aimeras peut-être aussi :

Sources principales

1. Vertava Health (2019) The reward pathway of addiction. https://vertavahealth.com/blog/reward...

2. découverte du circuit de la récompense : Olds & Milner, 1954 — Site des ressources d’ACCES pour enseigner les Sciences de la Vie et de la Terre (no date). https://acces.ens-lyon.fr/acces/thema....

3. McSpadden, K. (2015) 'You now have a shorter attention span than a goldfish,' TIME, 14 May. https://time.com/3858309/attention-sp....

4. Snow, S. (2024) 'Science shows: humans have massive capacity for sustained attention, and storytelling unlocks it,' Forbes, 20 February. https://www.forbes.com/sites/shanesno....

5. Ouest-france.fr. (n.d.). Les hommes moins concentrés que les poissons rouges. Retrieved from https://www.ouest-france.fr/insolite/...

6. Paul, K. (2022) 'What TikTok does to your mental health: ‘It’s embarrassing we know so little,’' The Guardian, 30 October. https://www.theguardian.com/technolog....

7. Yates, E. (2018) What happens to your brain when you get a like on Instagram. https://www.businessinsider.com/what-....

8. Santé mentale : une forte hausse des troubles dépressifs chez les 18-24 ans (no date). https://www.axaprevention.fr/fr/artic....

9. Brossas, V. (2023) Chiffres Instagram : Les Statistiques à Connaître en 2024. https://www.leptidigital.fr/reseaux-s....

10. World Health Organization: WHO (2019) Dépression. https://www.who.int/fr/health-topics/....

11. editor (2022) A bustle in the cage-row: the making of Rat Park addiction comic. https://www.stuartmcmillen.com/blog/b....

12. Pedrouzo, S.B. and Krynski, L. (2023) 'Hyperconnected: children and adolescents on social media. The TikTok phenomenon,' Archivos Argentinos De PediatríA, 121(4). https://doi.org/10.5546/aap.2022-0267....

13. Sha, P. and Dong, X. (2021) 'Research on Adolescents Regarding the Indirect Effect of Depression, Anxiety, and Stress between TikTok Use Disorder and Memory Loss,' International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(16), p. 8820. https://doi.org/10.3390/ijerph18168820.

14. Jiang, S. and Ngien, A. (2020) 'The effects of Instagram use, social comparison, and Self-Esteem on social anxiety: a survey study in Singapore,' Social Media + Society, 6(2), p. 205630512091248. https://doi.org/10.1177/2056305120912488.

Reply

or to participate.